Ginny Soskey

Dans le sac des hommes
Les modèles de l'année
Cliquezsur l'image pour voir
AuteurLes dandys l'aiment en cuir, patiné et vieilli. Les sportifs le portent bien sanglé sur le dos. Les citadins se ceignent le torse de sa bandoulière. Même les minimalistes en promènent parfois un, en plastique, souvenir dérisoire de supermarché. Qui? Le sac! Délesté de son épithète "à main", le voici qui s'immisce où beaucoup ne l'attendaient pas, sur la silhouette masculine. C'est la révolution mode de ce début de siècle: le réticule devient une affaire d'homme. "Le fait qu'ils ont quasiment tous un sac est un phénomène très récent, relève Olivier Saillard, conservateur au musée de la Mode et du Textile. Il y a encore vingt ans, on aurait crié à une féminisation insolente. Or il est rare aujourd'hui de voir un homme les mains dans les poches. Même les politiques portent une serviette. Désormais, la poche de l'homme, c'est son sac."
Pas d'amnésie, toutefois. C'est l'homme qui inventa le sac au néolithique, mû par la nécessité vitale de garder les mains libres pour chasser. C'est l'homme encore, monarque du Moyen Age, qui planquait sa fortune dans une bourse au bout d'une cordelette. Malgré cette origine glorieuse, le baluchon d'homme moderne sort à peine de son funeste purgatoire. Depuis le baise en ville des années Giscard cette petite pochette verticale en cuir, haute de 25 centimètres environ, portée à l'épaule ou à la main il était porté disparu. "Cette sacoche ridicule que les Deschiens ont utilisée pour caricaturer le Français moyen a bloqué beaucoup d'hommes qui n'osaient plus rien porter après elle!" note, amusé, Olivier Saillard. Les alternatives à ce baise en ville disgracieux (anobli tout de même par Gainsbourg dans Dispatch Box: "Je prends mon baise en ville/ J'me tire à Delta Ville") sont rares. L'attaché case de VRP, le cartable de prof, la sacoche de facteur ou de médecin ne concernant qu'une poignée d'hommes, les autres furent réduits à cheminer bras ballants. De virile escarcelle, il n'y en avait point.
Jusqu'à la libération. Celle du sac masculin survient dans les années 1980, avec l'irruption du sac à dos "fondamental, car il décomplexe immédiatement les hommes", juge Olivier Saillard. Il charme les "cadres dynamiques" d'alors; ceux qui, grisés par le bureau nomade, transportent leur ordinateur portable du haut de leurs rollers. chaussures prix bas Ce sac de baroudeur, notamment l'Eastpak, leader du marché français (1), sied à l'envie moderne d'une allure légère et sportive. Il crée comme une petite armure tenant chaud au dos et libère le geste sans faire courir le risque de paraître efféminé. Bref, il est parfait. Tous les hommes des villes l'adoptent, devenant des "alpinistes de l'horizontal", selon le portrait un brin ironique croqué par l'historien de la mode Farid Chenoune dans Le Cas du sac (Le Passage/Hermès).
Décrispés, déniaisés même, les hommes n'auront bientôt plus besoin de ce subterfuge, qui a l'inconvénient de rendre l'allure toujours sportive ou relâchée. Désormais, ils assumeront de porter un sac, tout court. Les plus avant gardistes optent dès les années 1990 pour une besace design ou pour une gibecière brute, inspirée du sac de plombier. Cette tendance perdure très fortement, à coups de cuir patiné fleurant bon le vintage et enrichi de détails "chantier": coton épais, sangles, ?illets, rivets. Autres succès: les sacs dits "de coursiers new yorkais" et les sacoches de DJ, grandes comme des 33 tours. Qu'elles soient signées Freitag (griffe suisse cousant de vieilles bâches de camion) ou frappées du vénérable damier Vuitton, elles triomphent.
"Même s'il est en vogue depuis quatre ou cinq ans, le sac explose vraiment depuis deux saisons. Il dépasse désormais la cravate", confirme Franck Nauerz, responsable accessoires au Printemps de l'homme, enseigne qui vient de doubler sa superficie consacrée aux accessoires masculins. Et doubler du même coup son chiffre d'affaires de sacs en six mois (2). Toutes les marques, streetwear, créateur ou grand luxe, font montre du même flair, de la même gourmandise. Plus que jamais, l'affaire est dans le sac. des hommes! Des exemples? Ils foisonnent. Berluti vient de lancer sa première ligne de sacoches masculines, souples et sensuelles. Chez Hermès, deux sacs "stars" de la maison (Plume et Colorado) sortiront ce printemps dans une version redimensionnée pour l'homme. Lamarthe s'y lance aussi. H M et Gap proposent sans cesse plus de sacoches. Et les hommes exultent.
"Le sac masculin n'est plus seulement un attribut fonctionnel, il devient accessoire de mode. L'homme ose plus que jamais", analyse Nathalie Weinmann, directrice du style homme chez Carlin international. Le mâle du millénaire assume les sacs chamarrés de Paul Smith, aux imprimés ludiques (pin up, moto, rayures.). S'il est très audacieux, il s'essaie même à la Mini Pochette lamée signée Hedi Slimane pour Dior cet hiver, qui contre la règle tacite du sac d'homme: être grand pour faire mâle. Ou il arbore, comme le jeune créateur de mode Charles Anastase, une pochette Goyard griffée à ses initiales. Certes, ce ne sont là qu'épiphénomènes branchés. Mais les tabous tombent peu à peu. L'un d'eux vient encore de céder, qui concerne le port du sac. De plus en plus d'hommes délaissent la besace pour un réticule bien plus chic, tenu à bout de bras: le cabas. Le fameux sac à provisions d'antan, vertical et assez haut, s'annonce comme le nouvel accessoire culte. Tout juste est il muni d'anses un peu plus longues que sur un cabas de femme. Joker pour les réticents: le sac polochon, inspiré du baluchon de sport, ou le sac week end (souvent nommé 24 heures ou 48 heures), qui se confond avec un petit bagage.
Quel que soit leur choix, beaucoup d'hommes perçoivent leur sac comme un attribut narcissique, source de plaisir. Même s'ils sont encore pléthore à se réfugier derrière l'alibi du sac purement professionnel pour masquer le lien tendre à leur musette. "Je crois que j'y suis plus attaché que je ne veux bien le dire", livre ainsi l'aventurier Nicolas Vanier (lire l'article), peu suspect d'être métrosexuel. tods Le sac ego fait son chemin. "L'homme contemporain se vit moins comme un héros social préoccupé de carrière que comme un sujet capable d'affirmer sa personnalité", éclaire Christine Castelain Meunier, sociologue au CNRS, auteur des Métamorphoses du masculin (PUF). Elle décèle même l'émergence d'une "nouvelle culture intimiste masculine". "Les frivolités deviennent affaire d'homme. Il s'agit de mode, mais aussi d'un nouveau regard de l'homme sur lui même. Il découvre l'hédonisme, ose être plus raffiné dans sa parure sans peur de sembler féminin ou asexué. En clair, il accepte son intimité."
Et, quand il s'agit de plonger dans leurs sacs, les hommes sont étonnamment loquaces et passionnés. Divan. "Je promène mon sac comme mon chien, livre Olivier Saillard. Parfois, je l'ouvre à peine, juste pour prendre mon agenda. Mais j'en ai besoin tout le temps. C'est comme une extension de ma maison, il est empli de choses intimes, il contient un peu de moi." "Dans mon sac, j'ai la calculatrice avec laquelle j'ai passé le bac et qui, depuis, est mon porte bonheur", confie un trentenaire. Comme des dizaines d'autres hommes, il a vidé son sac sur un blog spécialisé (3). Créé initialement par deux amies pour dévoiler le contenu des sacs de filles, le blog a vite été vampirisé par les hommes, plus émoustillés par l'expérience. "J'adore découvrir leurs petits secrets et eux mêmes ont l'air contents de les montrer. Ils sont moins pudiques que les femmes", observe Céline Montmasson, l'une des initiatrices du blog. Un autre "exhibitionniste" dévoile, entre son iPod à chaussette verte et ses mouchoirs, son "petit carnet à secrets". Même vidé, le sac à malices garde ses mystères.
"Les hommes qui viennent me voir assument leur intimité et même leur part de féminité", raconte pour sa part Nathalie Lecroc, artiste qui s'est fait une spécialité de peindre à l'aquarelle le contenu des sacs de volontaires (4). 10% sont des hommes. Certains prennent l'exercice très au sérieux, ayant bien conscience que leur sac, c'est eux. Ainsi, ce reporter à la retraite, venu avec une sacoche remplie de téléobjectifs, témoins de sa vie passée. D'autres commentent avec légèreté le contenu de leur besace, tel ce quadra qui, légendant un préservatif, a apposé "Toujours prêt".
Si les femmes ont souvent deux sacs (un intime, l'autre professionnel), les hommes n'ont qu'une besace, lieu de passage d'une identité à une autre. Le sac du cadre est aussi celui de l'amant, du père. Leurs vies se chevauchent, concentrées en quelques milliers de centimètres cubes. Ce brouillage des pistes renforce le poids du secret qui pèse sur la musette masculine. "Autrefois, le sac du travailleur était détenteur de son secret professionnel. Les savoir faire étant devenus immatériels, il reste un secret insondable: c'est ce qu'on n'a pas vu", relève malicieusement Farid Chenoune, qui cite ce génial proverbe mossi: "Ce qui demeure dans la sacoche est supérieur à ce qu'on en a retranché".
Reste une ultime énigme: quels hommes vivent sans sac? "Souvent ceux d'un certain âge, que le mot même effraie", estime Claude Vuillermet, directrice du style au bureau de tendances Chaussures, maroquinerie, cuir. On pourrait ajouter: les machos, raidis dans leurs certitudes, ou plutôt. perdus dans un cul de sac. Pour les autres, plus de doute sur la (nouvelle) morale de l'histoire: "On ne fouille pas dans le sac d'un homme."

femme chaussure | vente chaussures femme pas cher