Ginny Soskey

les sept vies d chat judoka devenu animal politique socialiste
Champion de judo, acteur, commentateur sportif, animateur à la télévision et à la radio le chat des tatamis a eu plusieurs vies. A 52 ans, ce partisan de François Hollande, qu'il soutient depuis son investiture aux primaires socialistes, a été nommé conseiller sportdu président de la République à l'Elysée. Rencontre avec cette forte personnalité aux coups de gueule aussi célèbres que ses commentaires sont géniaux.
Thierry Rey, 52 ans, le 19 avril à Paris.
A la base, rendez vous était pris dans une brasserie parisienne pour une entrevue avec la voix du judo. Celle que tous les passionnés reconnaissent entre mille, ces paroles débitées au micro comme on s'adresse à un pote, ces vannes qui s'entortillent comme des pirouettes quand le spectacle n'est pas des plus folichons, ces analyses de puriste bien senties. Et sans même réfléchir, on lui demande, alors qu'il avait pleuré lors de la finale de David Douillet en 2000 à Sydney, quel éclair il va sortir de sa besace quand Teddy Riner sera champion olympique. Réponse de l'intéressé: Rien! Zéro ! Canal+ n'a pas eu les droits pour les JO. Etgrâce mes nouvelles fonctions, je ne serai plus commentateur. Je serai donc aux côtés des athlètes. Douche froide. Heureusement, Thierry Rey n'a pas qu'une voix, il a surtout plusieurs visages.
Un nouveau profil vient d'ailleurs d'émergermardi 22 mai. A 52 ans, cet indéfectible soutien de François Hollande depuis son investiture aux primaires socialistesjusqu'à son électiondevientconseiller sport à l'Elysée. L'ancien judoka aura donc pourmission de suivre et de gérer les grands dossiers (stades, Euro, JO), et d'impulser un lien avec le ministère des sports pour le compte du Président.C'est un honneur que M. Hollande m'ait choisi. Je vais le servir avec toute mon énergie. En sport, quand on gagne, la victoire est une fin. En politique, ça n'est que le début pour agir.
Né le 1er juin 1959, à Furnes, on commence d'abord par se demander pourquoi Thierry Rey n'a jamais revendiqué avec plus d'entrain ses origines belges. Et pour cause, l'homme n'a d'attache avec le Royaume qu'à travers cette cité côtière située en territoire flamand pour la simple raison qu'il y a un hôpital. Mes parents se sont gourés de quelques jours dans ma date de naissance. Ma mère, enceinte jusqu'au cou, avait décidé de se payer une petite virée avec mon père au moment où j'ai tapé à la porte, raconte t il. Le gamin est du genre pressé, ce que confirme la suite. La nuit, les soirs de grosse colère, papa Rey est parfois obligé de sortir de son lit, en mules et pyjama, pour enfourner le poupon dans la voiture et effectuer le tour du pâté de maison, à Roubaix,son royaume du moment. Depuis, on a inventé les poussettes.
Thierry Rey à 12 ans. Ce 5 mai 1974, il pose fièrement devant l Il s classé 3e de la Coupe de France minimes. Archives REY
Avec les années, les choses ne s'arrangent pas vraiment. Tandis que la surcadette est une élève modèle, le frère est un brin turbulent. J'étais tout petit, mais intenable. Illico, mes parents m'ont collé dans un collège chezles Frères maristestellement j'avais la bougeotte, se remémore t il, les yeux furetant au plafond. Gaucher,Thierry Reya connu les encriers à droite, les bavures de son stylo absorbées par les feuilles, les gouttes qui finissent en gros pâtés. Et les torgnoles qui vont avec. Je me souviens d'un prof en particulier, un véritable tortionnaire. Il me mettait des coups de stylo bic sur le crâne, la pointe bien en avant. a faisait un mal de chien! Très tôt, Thierry Rey a donc eu affaire à l'injustice, celle qui caractérise les cancres. Et qui se souviennent toute leur vie de ces humiliations comme de leur premier bonnet d'âne.
Et voilà qu'arrive l'eldorado 68, ses grèves, ses étudiants en quête de liberté, de renversement, de sexe J'assistais à tout ce foutoir sans tout comprendre, mais ça me plaisait terriblement, s'excite t il. J'avais envie de faire comme eux. Problème, le gamin est haut comme trois pommes et surtout, il a 9 ans. Pour sécher les cours, il faudra attendre le lycée et ce jour du baccalauréat mémorable, où le superflu de l'épreuve avait atteint un point de non retour dans sa tête. Je me suis levéce matin. J'ai vu qu'il pleuvait et ça caillait dehors. Du coup, je me suis recouché, raconte t il l'air de rien. Il faut dire qu'à cette époque, Thierry Rey vient d'entrer en équipe de France de judo. Et qu'entre marner pourun diplôme sansgrand intérêtà ses yeux et coller des ippons à l'Insep, le choix est tout vu.
Thierry Rey a commencé le judo un 1er avril 1969dans un gymnase miteux de Lagny sur Marne qui porte désormais son nom. J'ai détesté. On enfilait des kimonos trop grands qui sentaient le neuf et en guise de tatami, on tirait de grandes bâches en toile de jute sur de la sciure de bois tassée. Surtout, leceinture blancheest chétif. A 11 ans, en témoigne son passeport sportif, où tous ses résultats sont consignés, il pèse 30 kg tout mouillé. Autant dire que le moineau est une proie facile pour les grands bêtas du club, qui font du judo avec autant d'élégance qu'ils réfléchissent vite: en force. Cette sensation de la chute me plaisait et je trouvais ça mariolle. Depuis ce jour là, il a enchaîné les titres de champion de son département, de sa région etplus tardde France.
Le uchi mata légendaire de Thierry Rey qu déclenche après une réaction sur o uchi gari. Archives REY
Nous sommes en 1975. Avec les meilleurs cadets du moment ( 58 kg), Thierry Rey se tient dans un mouchoir de poche pour la titularisation en équipe de France. Jusqu'à ce que débarque un certain Bernard Tchoullouyan, champion de Francesenior qui vient enseigner "la voie de la souplesse" dans son club, à Lagny. Technicien hors pair, le maître lui enseigne son savoir pendant deux ans et surtout cette combinaison o uchi gari/uchi mata. A partir de ce jour là, j'ai commencé à coller des boîtes à tous mes adversaires. L'enchaînementparaît simple, mais il est tout en sensations. Du coup, j'ai explosé dans ma catégorie.
A l'Insep, le temple du haut niveau, Thierry Rey n'estpourtant qu'une viande parmi d'autres. Non content de se faire pilonner sur les tatamis, lejeunot de 18 ans doit se taper tous les jours une petite virée de 30 km en mobylette pour regagner ses pénates de Seine et Marne. J'étais cuit, mort, au bout du rouleau, se souvient il. A tel point qu'un soir, désespéré, il s'empare du téléphone de la cafétériapour demander à Pierre Guichard, le directeur technique national, s'il n'y a pas une place de pensionnaire. La réponse est à la hauteur du désespoir: Il savait même pas qui j'étais. Il m'a rigolé au nez et il a raccroché. Pour obtenir ne serait ce qu'unbout de matelasdans le sacro saint du sport de haut niveau, il faut claquer des performances internationales. Qu'à cela ne tienne. Le d'Artagnan est assez tête brûlée pour relever le gant.
Thierry Rey vient de battre le Japonais Moriwaki au deuxième tour des championnats du monde à Paris en 1979. Archives REY
Janvier 1978. Comme chaque année, la crème du judo mondial débarque dans le stade Pierre de Coubertin. Les japonais y font leur show et les Français passent à la moulinette. Sauf un. Le dernier jour, le léger de Lagny passe ses enchaînements sur tous ses adversaires et se hisse sur la plus haute marche du podium.Pour une première participation, c'était osé. Du coup, toutes les portes se sont ouvertes d'un coup. Je devenais le taulier dans ma catégorie, j'étais pensionnaire à l'Insep du jour au lendemain et je voyageais. Au Pays du Soleil Levant, les entraînements ne sont pas de tout repos et comme tout un chacun, Thierry Rey déguste.
A cette époque, le Japonais n'est pas des plus hospitaliers. Il a une propension à vouloir matraquer tout étranger, au moins pour lui signifier que le judo est bien de chez lui. Cestypes étaient malades. Il n'y avait pas de différences de poids lors des entraînements. Je me faisais défoncer par des Japonais qui faisaient 30 kilos de plus que moi. Heureusement que les anciens de l'équipe de France, Jean Luc Rougé et Angelo Parisi sont là pour corriger le tir. Mais dans la catégorie protecteur du poulain, c'est Bernard Tchoullouyan qui remporte la palme.C'était incroyable. Les Japonais en avaient une peur bleue, conte Thierry Rey. Là bas, il était chez lui et il leur collait des trempes. Avec mes yeux de petit bleu, j'étais admiratif. Ces moments indélébiles dans sa mémoire qui ont fait de Thierry Rey une des premières légendes du judo français. En janvier 1979, il a 20 ans quand il remporte pour la seconde fois consécutive le Tournoi de Paris et,dix mois plus tard,les championnats du monde devant son publicde Coubertin. Tandis que Delvingt ( 65 kg), Tchoullouyan ( 78 kg), Sanchis ( 86 kg) et Rougé ( 95 kg) s'emparent de l'argent, lui conquiertl'or mondial. L'année suivante, il frappe encore plus fort à Moscou en remportant le titre olympique. C'était le Graal, la plénitude, rêvasse t il. J'étais le premier àfaire le doublé Monde/JO. Je venais de réaliser mon rêve. Les entraînements, les doutes, la solitude avant les combats tout était évincé. Avec l'équipe, on a arrosé ça à la bière, le seul truc qui se trouvait dans le frigo de notre appart' soviétique. L'Etat français m'a grâcieusement accordéune prime de 24 000 francs (3 600 euros).
De gauche à droite: Bernard Tchoullouyan, Thierry Rey et Angelo Parisi sur la place Rouge à Moscou en 1980. Le premier a arraché la médaille de bronze cette année là aux JO. Les deux autres ont remporté l olympique. Archives REY
L'argent Est ce pour cette raison qu'un jour de 1984, Thierry Rey a raccroché le kimono après avoir raflé quelques belles victoires notamment un titre de champion d'Europe en 1983 dans la catégorie supérieure? Plutôt les conditions de vie, répond il avant de pousser plus avant la réflexion. A cette époque, je vivais une passion avec une grande actrice [Miou Miou] qui avait deux enfants. Je conciliais une vraie vie de famille avec les entraînements. On luttait comme des fous sur le tatami sans avoir de reconnaissance, on couchait dans des dortoirs Je n'acceptais plus d'être maltraité socialement. Surtout, j'aspirais à une nouvelle vie. J'avais moins envie de me faire mal à l'entraînement.
En tout et pour tout, la carrière internationale de Thierry Rey aura durésept ans. En retraite, le sportif devient conseiller technique d'une entreprise textile implantée à Dôle (Jura) qui fabrique des kimonos à son nom. C'était le pied. J'avais un contrat de trois ans qui me permettait de gagner correctement ma vie, se souvient il.
Pour autant, Thierry Rey ne se voit pas évoluer dans le judo toute sa vie. J'ai énormément de respect pour ceux qui sont encore sur le tatami trente ans après. Mais moi, ça n'était pas mon truc. Scène cocasse, dans les archives de l'INA, l'internaute curieux peut retrouver un reportage deStade 2datant de 1986 où le champion olympique remet le kimono pour les championnats de Seine et Marne, qu'il survole à grands coups de uchi mata sous l'il amusé des caméras. C'est après cette victoire plaisir qu'il raccrochera pour de bon. Mais déjà l'on entrevoit l'acteur en devenir, avec sa gouaille, ses bons mots, sa belle gueule
Les trois champions du monde Thierry Rey, Bernard Tchoullouyan et Jean Luc Rougé accueillent le nouveau promu Fabien Canu (blanc), médaille d à Essen en 1987. Archives REY
Nous sommes au milieu des années 1980. Habitué du monde de la nuit, Thierry Rey compte dans sa bande de copains Bacri, Lindon, Darmon et toute la joyeuse troupe qui, comme lui, aspirent à devenir acteurs. C'était une vraie bande de potes. On faisait la fête et on croisaitGainsbourg, Deneuve ouBertignac. On s'éclatait, c'était le pied, raconte t il. Je me souviens de Vincent Lindon qui courait après les cachets. Je sortais beaucoup. C'estau cours de ces soiréesque j'ai connu Thierry Le Luron qui me draguait sévère. le pauvre.
Thierry Rey et Gérard Darmon en 1985. Archives REY
Les débuts dans le milieu du 7e art ne sont pourtant pas aisés. De son premier cours de théâtre, Thierry Rey garde un souvenir impérissable. Je suis arrivé incognito dans un groupe d'une cinquantaine de personnes pour apprendre le métier. Tout le monde s'est retourné vers moi. Avec une autre actrice, Thierry Rey tient en haleine le public deux heures durant en jouant La Terreur, une pièce sur le génocide arménien. J'étais seul sur scène et je fixais le plancher quand j'ai reconnu les chaussures d'un type qui était assis au premier rang. Là, j'ai levé la tête et j'ai vu Bernard Tchoullouyan, monmaître. Ilest Arménien, c'était aussi son histoire.
De cette expérience sur scène, il gardera un souvenir ému et une petite rancur(aujourd'hui disparue)à l'endroit de Thierry Ardisson. Invité par le sulfureux animateur pour parler de la pièce, Thierry Rey avait eu droit à une interview up and down. Entre autres questions, on lui demandait des détails sur sa vie intime avec Miou Miou, sur ses orientations sexuelles ( T'as jamais essayé les trucs dégueulasses? Faire ça avec des cadavres ou des chiens?). L'enfoiré! s'emporte Thierry Rey. On a parlé deux secondes de la pièce. Je l'ai recroisé quelques jours après. J'avais envie de lui casser la gueule. Il a compris qu'il fallait mieux qu'on ne se croise plus. mocassins daim homme
De 1987 à 1991, Thierry Rey va jouer au théâtre et tourner une dizaine de fois pour la télé ou le cinéma, toujours des seconds rôles aux côtés de Michel Serrault,Pierre Richard ou Jacques Weber. Mauvais acteur? Je nesais pas, hésite t il. Quand on a déjà eu une vie avant, c'est plus difficile, on te perçoit toujours comme le champion olympique que tu ne veuxplus être. Mais il suffit d'un rôle, et je ne l'ai jamais eu. Si vous prenez Daniel Auteuil, il a fait plein de navets avant de qu'on le prenne au sérieux. C'est le rôle d'Ugolin dans Jean de Florette qui a fait de lui le Auteuil qu'on connaît maintenant! Chaque acteur doit trouver son Ugolin.
Thierry Rey se fait remettre le prix Antenne 2 par Serge Gainsbourg en décembre 1980. Archives REY
En 1992, Thierry Rey renoue avec le milieu du judo, de l'autre côté des caméras cette fois. Appeléà rejoindre la Dream Team de Canal+ par Charles Biétry, son directeur des sports, pour commenter les Jeux olympiques de Barcelone, il dévoile une autre facette de sa personnalité. Barcelone, ça a été l'explosion médiatique du judo, avec les sept médailles françaises. Ona retransmistous les combats du matin au soir. Le grand public a vraiment découvert le judo. Les gens s'apercevaient enfin qu'il y avait des premiers tours, que c'était un sport plein de suspense. Avec son franc parler, sa voix de pote décomplexée, son humour détonant et sa science de l'intérieur du combat,le journaliste fait un carton, à tel point que Pierre Lescure l'engage à Canal+ et que Charles Biétry lui propose de commenter plusieurs sports pour la chaîne cryptée. J'ai couvert le rugby, le foot, la boxe. tod ?s tout plein d'événements parce que j'avais apporté un ton nouveau. A l'époque, on était dans des commentaires formels, très cadrés, et là, on avait quelqu'un qui s'affranchissait, sans le savoir,de toutes ces règles pour faire vivre l'événement comme si onétait au coeur de l'action. Depuis, beaucoup de commentateurs l'ont pris pour modèle, ont désacralisé la fonction et adopté ce ton libre qui le caractérise. Sa recette? Parler vrai, exprimer ce que l'on ressent, conseille t il. tre malin, drôle, vivant.

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