Ginny Soskey

Pardons de Bretagne
La Bretagne est le pays des Pardons. Depuis des temps immémoriaux, chaque année les hommes se rassemblent autour des six mille chapelles qui maillent le paysage et la culture de la Bretagne. Défiant les modes, ils y célèbrent huit cent saints légendaires dotés de pouvoirs mystérieux et avec lesquels ils entretiennent de relations bien particulières.Davantage qu'un pèlerinage, le Pardon mélange la fête religieuse et la foire profane. Les pardonneurs se prêtent à des rites et à des pratiques que l'église a parfois mais en vain tenté d'interdire au cours des derniers siècles : triple circumambulation autour du santuaire, baiser des statuts et des reliques, ablution au fontaine, accolement de mégalithes, embrasement de bûchers, offrandes et invocations, chants et danses, jeux. Dans la Bretagne du XXIe siècle, plusieurs milliers de pardons rassemblent à la belle saison des centaines de milliers de Bretons qui perpétuent une tradition millénaire. La particularité du Pardon est de participer à une double culture chrétienne et celtique de se rattacher à un espace la paroisse et à un temps la fête du saint qui s'enracinent dans un passé à la fois mythique et historique.C'est un extraordinaire voyage, de sainte Anne d'Auray à Locronan, que Bernard Rio a réalisé, cheminant avec les pèlerins du Tro Breizh, assistant au salut des bannières à Minihy Tréguier, aux cavalcades des chevaux au pardon de Saint Gildas, à la bénédiction des vaches à Carnac, à la descente de l'ange qui enflamme le bûcher de Notre Dame de Quelven, à la Dérobée dansée à Moncontour. Un voyage étrange et merveilleux dans la Bretagne des Pardons. IntroEditions Le Télégramme 2007 ISBN : 978 2 84833 184 3La croix en argent surgit du porche. Une croix étincelante dans la lumière blonde et oblique de l'après midi de septembre. Elle jaillit d'une ombre monumentale, une basilique abyssale. Son porche qu'on dit flamboyant ouvre sur un monde obscur d'où sortent une à une les bannières de la procession. Voici l'oriflamme cramoisie du quartier Saint Antoine suivi des couleurs de Saint Gilles, Kervignac, Inzinzac, Branderion, Lochrist, Penquesten, Saint Caradec, Notre Dame de la Joie Cette année encore, les paroisses des alentours n'ont pas manqué le Grand Pardon d'Hennebont. La bannière de Notre Dame de la Houssaye est même venue de Pontivy pour saluer sa consur du Vu.Tissée de fils d'or, la plus ostentatoire des bannières, l'orifamme de Notre Dame du Voeu précède la statue d'argent portée en majesté par six robustes paroissiens. Viennent ensuite le clergé et une foule de quelques centaines d'hommes et de femmes. Croix en tête, la procession descend la place pavée et butte sur les ganivelles de la fête foraine. Confrontation des mondes et illusion d'optique : la croix de procession s'insère plein ciel entre les pylones d'une machinerie multicolore supposée étourdir l'adolescence hennebontaise. Minuscule désuétude et tentaculaire duperie. Les pèlerins ne parviendront pas jusqu'à la tour médiévale de Bro Erec, ils virent devant le "puits ferré" où nul citadin ne puise plus son eau et se détournent des sirènes hurlantes. Leurs psalmodies couvertes par les cris de la fête. Va de retro. Moins d'une heure à marcher dans les rues désertes de la ville haute, à commémorer le Vu de 1699, à me remémorer ce Pardon de mon enfance, à revenir au point de départ.Circumambulation du corps et de l'esprit. Retour en arrière sur une pratique locale, collective et familiale. Recours à la mémoire pour recomposer un puzzle de rites : messes basses et solennelles, prônes, vêpres, procession, chapelet, fête populaire et repas de crêpes. Je ne ressens pas d'opposition entre le Pardon de ce jour et mon souvenir d'enfance. Cependant cette continuation me semble anachronique dans un monde qui a tant bien que mal changé les hommes. "Chanjet des en amzer, chanjet des e me spered", dit une vieille chanson de ce pays. "Le temps a changé, il a changé dans mon esprit".Pourtant, je ne ressens pas de contradiction entre l'enfant qui croyait et le quêteur que je suis devenu. Je ne doutais pas et je ne renie pas le mystère qui m'a éloigné des marchands du temple. En avril 1883, Ernest Renan témoignait d'un semblable et indestructible pli contracté pendant son enfance à Tréguier. Cette cathédrale, chef d'uvre de légèreté, fol essai pour réaliser en granit un idéal impossible, me faussa tout d'abord. Les longues heures que j'y passais ont été la cause de ma complète incapacité pratique. Ce paradoxe architectural a fait de moi un homme chimérique, disciple de saint Tudwal, de saint Iltud et de saint Cadoc, dans un siècle où l'enseignement de ces saints n'a plus aucune application. Quand j'allais à Guingamp, ville plus laïque, et où j'avais des parents dans la classe moyenne, j'éprouvais de l'ennui et de l'embarras. Là, je ne me plaisais qu'avec une pauvre servante, à qui je lisais des contes. J'aspirais à revenir à ma vieille ville sombre, écrasée par sa cathédrale, mais où l'on sentait vivre une forte protestation contre tout ce qui est plat et banal . En relisant sans me lasser les souvenirs d'Ernest Renan, je mesure l'incompréhension que cet homme hors norme suscitait dans une église qui portait déjà les signes de son déclin spirituel et temporel. Le religieux Renan soulevait le voile gris de l'histoire et retrouvait le palimpseste enluminé de nos origines claniques et migratrices. Saint Yves de Vérité lui avait offert sa clairvoyance des choses anciennes et son horreur pour tout ce qui est plat et banal dans un dix neuvième siècle qui vit le triomphe des uniformes : soutanes noires, tuniques bleues et blouses grises. Le vingtième siècle a pris le pli du précédant en mode rapide, effaçant les traces d'une culture archaïque en prônant l'abondance manufacturée, surenchèrissant avec inconséquence.En ce début du vingt et unième siècle, sur le parvis de la basilique d'Hennebont, revenu à ma ville natale, revenu à moi même en compagnie de mes cousins pardonneurs. Je chemine en plein paradoxe. La procession avance à pas comptés. Elle fait halte à chaque coin de rue comme si elle cherche son souffle. Combien de temps encore, le sinueux simulacre se perpétuera t il ? Dans combien d'années, la fête profane prendra t elle le pas sur la fête religieuse pour la diluer puis la dissoudre ? Cette année, il n'y a pas eu de dialogue entre la foule qui processionnait et les badauds qui cédaient aux stridences des manèges assiègeant la ville close. Chacun dans sa file a esquivé l'autre, concédant à l'obéissance ou cédant à la tentation. tods pas chere Indifférence ou incompréhension ?Au Pardon de Sainte Anne La Palud où je m'étais aventuré un mois plus tôt, une autre juxtaposition du sacré et du profane induisait le mélange des genres entre les offices. Les baraques foraines ne désemplissaient pas pendant les messes solennelles et la foule basculait d'un lieu à l'autre pour se vouer et se dévoyer alternativement.Le temps où les recteurs et leurs vicaires se plantaient devant les manèges pour dissuader par leur présence silencieuse et sentencieuse les pèlerins de se divertir, ce temps béni est dépassé. Les curés ne font plus la loi dans les villes et les campagnes. todd ferrari Ils n'en ont plus ni le pouvoir ni la volonté. Les réjouissances profanes ne sont elles pas indissociables du Pardon breton !L'erreur serait peut être de dater le Pardon du Vu à mon enfance pré soixante huitarde à l'instar de ces commentateurs qui dissertent sur les pardons en se contentant des commentaires de feu Anatole Le Braz. Le Pardon du Vu souligne une permanence mariale de trois siècles mais ne perpétue t il pas une autre réalité, géographique et métaphysique, religieuse et communautaire !Porter la statue de Notre Dame du Vu le dernier dimanche de septembre dans les rues d'Hennebont, c'est répéter et respecter une promesse ancestrale, la prière des Hennebontais qui se vouèrent à la Vierge Marie en 1 699 pour se prémunir de la peste. L'année suivante, une statue d'argent fût portée en procession dans la cité miraculeusement sauvée du péril bubonique. Tant que les pardonneurs pérégrinent, le vu est exaucé, la cité préservée. Le sait on encore ?En 1792, la statue fut enlevée par les Révolutionnaires et fondue à Nantes. ge sombre pour les pèlerins privés de représentation divine, exposés aux terreurs de la Raison. Au lendemain de la Révolution, une nouvelle statue arriva dans l'église restituée au culte. En 1900, son couronnement en présence de plusieurs dizaines de milliers de pèlerins fut l'écho terrestre du sacre céleste de la Vierge Marie. La statue devint la représentation solennelle de la Madone. Mille ans après le Concile de Nicée, l'évêque de Vannes accréditait trois cents ans de piété populaire en consacrant lui aussi le culte des images !Notre Dame du Vu n'est que la dernière née des Vierges votives hennebontaises. Elle prit lieu et place de Notre Dame du Paradis qu'un forgeron avait installée en 1514, probablement inspiré par Notre Dame de la Joie, honorée depuis 1 252 dans l'abbaye fondée aux portes de la ville par la duchesse Blanche de Champagne ; Notre Dame s'étant elle même substituée à sainte Marie de Kerguelen vénérée sur la rive droite du Blavet au onzième siècle. Voilà qui ramène au moyen âge et dans la vieille ville rasée en 1 250 par le duc Jean Le Roux, dans la paroisse Saint Caradec dont la bannière blanche et bleue rappelle son antériorité sur les autres saints topiques.Caradec ? quel saint faut il que je me voue ? Caradec, Karadeg, Caratacos, Caradawc C'est toujours la même origine dérivée de kar ami . Hormis l'étymologie et son ascendance galloise, les gens de lettres et les gens de la terre ne s'accordent sur aucune de ses vies. De la fin du cinquième siècle au début du douzième siècle, saint Caradec aurait cumulé plusieurs états. On le dit moine au pays de Galles, harpeur du roi Rhys, mais aussi prêtre et ermite à Trégomel à quelques dizaines de kilomètres d'ici. La fête paroissiale correspondrait à sa fin dernière, le 13 avril 1124.Ce saint breton est représentatif d'une hagiographie merveilleuse et légendaire. Saint par la volonté du peuple sans jamais avoir été adoubé par l'évêque de Rome, saint exemplaire car il incarne la nature atavique du Pardon breton qui relie les hommes et leur terre, le monde des vivants et la divinité, l'histoire et le mythe.Saint Caradec aurait pris possession de ces lieux avant Notre Dame. Aurait il aussi anticipé le christianisme ? Dans les Mabinogion, ces récits gallois qui ont précédé les romans courtois de la Table Ronde, plusieurs héros portent cet amical patronyme : le fils du roi Llyr, Caradawc Vreichvras fondateur de la dynastie de Morgannwg, mais aussi le fils du roi Bran Bendigeit que les Gallois identifient à Caratacos, fils de Cunobelinos roi des Trinovantes, vaincu en 49 après Jésus Christ par le romain Aelius Plautus ! Continuant en amont de l'histoire, voilà Caradawc père du dieu de l'océan ManawydanPour un saint inconnu du calendrier de l'église universelle, voilà une généalogie merveilleuse. J'avoue que le saint homme, jadis invoqué par les futurs mariés à sa fontaine dans le bas de la rue Le Saec, mérite mon admiration pour sa capacité à traverser les âges et à résister aux réformes canoniques. Cette faculté d'adaptation me remplit d'aise alors que je m'interroge sur la pérennité du Pardon breton en ce siècle. Eau non potable annonce le panneau accroché à la fontaine de dévotion. Un filet d'eau verdâtre s'écoule de l'enclos encastré entre les murs gris. Les amoureux ont déserté un endroit sans agrément, abandonné au temps qui ride, fissure et grince. A vingt mètres, la chapelle Saint Caradec n'est pas plus avenante. Porte fermée. Un avis municipal en interdit l'accès au paroissien, pour sa prétendue sécurité La chapelle ne serait plus conforme aux normes. Elle n'est surtout plus à sa place dans une société du beaucoup avoir et du mal être.Une brise froide court dans la rue Trottier et gonfle la bannière du patron de la rive droite du Blavet. Un courant d'air qui rafraichit les idées et tourne les pages d'une Vita bien remplie. J'apprécie la lignée légendaire du moine : ces parentés annoncées comme des trophées qui se lisent encore dans un roman breton du douzième siècle, Le Livre de Caradoc Briebras à rapprocher de son cousin gallois Caradawc Vreichvras. Ce Caradec aux gros bras serait contemporain du sauvage anachorète, l'un roi du pays de Vannes, l'autre ermite à Tregomel. Entre la littérature courtoise et la légende chrétienne, je souhaite bien des nuits blanches à qui prétendrait démêler la réalité galloise de l'invention bretonne et vice versa.Continuation ! Telle est la règle que je suis et à laquelle je me suis familiarisé en lisant les hagiographies et les romans médiévaux, en arpentant les lieux dits, en écoutant les contes et les légendes de ce pays qui n'en finit pas de m'intriguer.Le Pardon de Notre Dame du Vu est ce que les historiens des religions appellent un pélerinage urbain par distinction avec la fête rurale et champêtre. Effectivement la procession ne déborde pas du siège de l'ancienne sénéchaussée d'Hennebont. Au cur de l'agglomération moderne, face à la mairie communiste qui occupe le presbytère du xixe siècle, la basilique se situe hors de la ville close, sur la rive gauche, et à l'opposé de la motte féodale sur la rive droite du Blavet. difiée en dix ans, 1514 1524, sous la houlette de François Michard, febvre dudict henbont maréchal ferrant et serrurier, qui se voua à Itron Varia ar Baradoz, Notre Dame de Paradis, et mourut épuisé d'avoir bâti son chef d'uvre gothique.Avant d'être paroissiale, l'église fut la propriété de l'abbaye cistercienne de la Joie Notre Dame, dont l'abbesse jouissait du titre et des revenus de recteur. Le premier du nom est Guillemette Rivallen qui figure sur le vitrail central en compagnie du maître bâtisseur. Naturellement dispensée de célébrer les offices, la Prieure se réservait un banc près de la table de communion et faisait porter la crosse abbatiale par un vassal pendant la grand messe et les vêpres. Elle disposait aussi d'un vicaire perpétuel pour assurer l'intendance du lieu saint et accueillir les pèlerins, lesquels visitaient Notre Dame du Paradis bien avant le vu de 1 699.L'histoire de la basilique a ainsi occulté l'existence de la chapelle primitive construite au bord d'un petit étang qu'alimentait une fontaine de dévotion, un lieu si agréable qu'il fût baptisé le Paradis . Les pèlerins s'y rendaient en foule et se reposaient dans un bosquet à flanc de colline. Ce furent leurs offrandes autant que les subsides de l'abbaye qui financèrent les grands travaux de François Michard.Une chapelle, une fontaine, un étang, un bois Le Paradis ?Aurais je enfin trouvé l'explication à une autre anomalie hennebontaise ? Comment se faisait il que la basilique ne fut pas construite au faîte de la colline ! Un édifice aussi imposant devait dominer l'espace, à l'instar des autres sanctuaires mariaux Notre Dame de Quelven, Notre Dame de la Tronchaye, Notre Dame du Roncier, Notre Dame de Rumengol Accrochée à mi pente, la basilique était à mi chemin entre les mortels et Dieu. Elle se trouve aujourd'hui entre les vivants d'en bas et les morts d'en haut Car à Hennebont, le cimetière surplombe la ville ! Les ancêtres veillent sans mot dire sur l'ancien Paradis.L'emplacement primitif a naturellement été conservé car il était le pont entre les cultes, entre les mondes, entre les saints d'hier et d'avant hier, il était de facto sacré. Il était le locus consecratus d'Hennebont. L'architecte ne pouvait envisager un autre lieu. Il ne pouvait s'affranchir de la nature du lien. En d'autres temps, il en aurait été autrement.

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