Ginny Soskey

Le triomphe du gangsta chic
"Hoodiegate" ("scandale du pull à capuche"): en mai dernier, c'est ainsi que fut qualifié le hold up symbolique du sweat à capuche par Mark Zuckerberg. Le fondateur de Facebook avait en effet décidé de revêtir un hoodie lors de l'introduction de sa marque à Wall Street. Ou comment un capitaliste 2.0 confisquait l'attribut absolu du cool. Par delà cette anecdote, c'est toute la panoplie hip hop qui revient sur le devant de la scène cette saison: la mode se délecte de cette esthétique de rue née dans la contestation.
Sweats à capuche, casquettes et grosses baskets
Dans le vestiaire masculin surgit une nouvelle attitude, ou "swag": foin de jeans slim et de cravates fines, les fameux sweats à capuche côtoient désormais les grosses baskets, pour appuyer une masculinité très "mauvais garçon". On repère des ensembles blouson de baseball et shorts baggy chez Givenchy, des casquettes et sacs d'inspiration banane chez Kenzo, des débardeurs extra larges chez Acne et des bonnets à visière chez Issey Miyake. De American Apparel à Surface2Air en passant par Topman, sacs à dos, vestes de sport et doudounes sont devenus les nouveaux basiques, plus confortables que les pièces vintage qui dominaient jusque là les garde robes rock and roll.
Sacs à dos, vestes de sport et doudounes sont devenus les nouveaux basiques
"Le hip hop apporte une énergie brute, puissante, qui vient casser les clichés du bon goût", explique Felipe Oliveira Baptista, créateur pour Lacoste. Ses shows, au rythme de crunk, rap, ou favela booty beats, "jouent avec la dichotomie entre les références nobles et pures et celles des rues", détaille le designer. Sa dernière collection, présentée à New York début septembre, incruste des bananes aux sweat shirts, en clin d'oeil à l'appropriation urbaine et populaire de Lacoste dans les années 1990. "Quand la rue récupère une marque, cela produit un détournement tout à fait inattendu. C'est fascinant pour un créateur", ajoute Baptista. Tout aussi conquis, Julien David, lauréat du prestigieux prix de mode Andam en juin dernier, dessine des silhouettes urbaines valorisant l'extra large, le molleton premier âge et le fitted cap casquette à visière plate et couvre chef indiscuté du hip hop.
Les jeunes rappeurs sont les nouveaux rockers
Le contexte culturel a favorisé le retour en grâce du rap version mode. mocassin femme de luxe Entre l'hologramme du rappeur culte Tupac Shakur projeté lors du festival californien de musique Coachella, en avril qui a créé un buzz à plusieurs millions de vues sur Internet , ou encore la récente performance "Legendary! Hip hop vogue, Baltimore" au MAC/VAL, en région parisienne avec des ateliers danse de voguing, discipline née il y a 40 ans dans les ghettos noirs américains , le hip hop old school renaît de ses cendres, et les jeunes pousses du beat prennent le relais avec succès.
Les magazines, en quête d'un nouveau souffle, vouent un soudain culte aux petits rappeurs au passé houleux, glanés sur le Web talents qui seraient restés dans l'anonymat le plus absolu en ère pré YouTube. Exemple: Rakim Mayers, aka ASAP Rocky, 22 ans, ex trafiquant de drogue vivant à Harlem, vient d'orner la couverture du magazine Jalouse, et signe un duo avec Lana del Rey, tout en citant Alexander Wang comme son designer favori. On pense aussi à Christopher Breaux, connu sous le nom de Frank Ocean, 24 ans, qui a grandi en Louisiane en enchaînant les petits boulots peu glamour pour pouvoir louer des studios d'enregistrement. Qu'à cela ne tienne: il est désormais photographié par Terry Richardson. Quant à Wiz Khalifa, ado rebelle du Dakota du Nord âgé de 24 ans, il vient de décrocher un contrat chez Warner Records, apparaît dans le très pointu Interview Magazine et fréquente les soirées les plus huppées de New York.
En temps de crise, ils incarnent une version extrême du rêve américain
"Ces jeunes rappeurs sont les nouveaux rockers, d'authentiques bad boys au parcours personnel saccadé, mais qui ont réussi", décrypte la journaliste musicale et DJ Violaine Schütz. "ASAP Rocky, au passé familial ardu (père en prison, frère assassiné), a signé un contrat de 3 millions de dollars suite à une promotion par le Web uniquement. Il est forcément plus inspirant que le leader des Strokes, Julian Casablancas, et son papa ex patron d'Elite." Effectivement, en temps de crise, ils incarnent une version extrême du rêve américain, du self made man, d'une société où la rage de réussir peut encore être un passeport vers des jours meilleurs.
Isaac Mizrahi et Tommy Hilfiger précurseurs
C'est loin d'être la première fois que la mode imite la rue. Dans les années 1980 déjà, le créateur new yorkais Isaac Mizrahi s'inspirait de l'allure embijoutée de son garçon d'ascenseur, donnant lieu à une collection d'épaisses chaînes en or et de vestes bombers. Puis, c'est Tommy Hilfiger qui salua le genre musical, faisant défiler P. Diddy (alors appelé Puffy) et Coolio pendant ses shows. Marithé et François Girbaud et leur baggy couture deviendront le summum du gangsta chic, et le rappeur Juvénile ira jusqu'à chanter ses louanges à la marque: "Me, I wear Reeboks and Girbaud and play it smarter" (moi, je porte des Reebok et du Girbaud et je suis le plus élégant). Au tournant des années 2000, le marché du luxe a souvent charmé le monde du hip hop, qui s'empressa de se l'approprier dans un style clinquant et ultra macho, surnommé "Ghetto Fabulous" par P. Diddy.
La nouvelle génération, qui a grandi avec internet dès ses premiers biberons, véhicule une attitude plus sophistiquée. Les rappeurs d'aujourd'hui ont troqué le bling pour un langage de mode éduqué: Kanye West clame haut et fort porter des gilets pour femme Céline, Jay Z se promène un sac en cuir d'autruche Louis Vuitton au bras, et Frank Ocean avoue sans problème son homosexualité impensable chez des rappeurs il y a dix ans. "Le milieu du hip hop a réellement fusionné avec la mode, et a contribué à façonner l'image d'un luxe moderne, portable, urbain", déclare Kristopher Arden Houser, journaliste pour le Vogue Italie. mélange des sapes fluo inspirées de l'esthétique rave avec des bagues coups de poing américains, les garçons arborent volontiers des coupes "high top fade" façon Will Smith dans Fresh Prince of Bel Air, des tatouages empruntés au rock, et des Vans chipés aux skateurs. Soit une esthétique hip hop hétéroclite et contemporaine. Sur les catwalks, Riccardo Tisci imagine d'ailleurs des ensembles inspirés d'uniformes de baseball. mais ripolinés en vieux rose et fabriqués en soie. Tandis que les blousons coupe vent Kenzo sont en imprimés léopard, et les surchemises Issey Miyake en tie and dye hippie.
Un style street est appropriable par davantage de gens
"Le hip hop occupe aujourd'hui une place particulière: il est sexy, perçu comme un tantinet dangereux, mais il témoigne surtout d'un humour décalé vis à vis des codes du luxe", juge Lucien Pagès, directeur du bureau de communication de mode du même nom, et qui représente Julien David. Un style urbain à la subversion calculée, qui a aussi une réalité de marché: "Un grand nombre de pièces symbolisant ce style sont moins onéreuses et plus faciles à produire une paire de Nike coûtera toujours moins cher que des Berluti", détaille Sarah Hay, rédactrice parisienne du magazine anglais i D. "En plus, un style street est appropriable par davantage de gens. chaussures luxe soldes Le look rock était franchement limité combien d'hommes, hors de Paris, sont prêts à acheter un slim et une marinière?" s'exclame t elle. Reste que la mode et le hip hop ont un point commun: une volonté d'expérimentation sans bornes. Comme le disait la chanteuse Ciara lors de son dernier passage à Paris pour assister au show Givenchy, "la mode et le hip hop n'ont peur de rien, et n'arrêtent jamais de faire rêver".

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